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Main basse sur les livres du XXe siècle

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Main basse sur les livres du XXe siècle

par François Élie, Bernard Lang et Franck Macrez
(Adullact, AFUL, FFII France)
Point de vue | Le Monde.fr | 16.03.12 | 09h20- article soumis le 13.02.12 | 14h20 -
version originale                             Contexte de publication : Le rôle du Monde

Le patrimoine écrit de la France est considérable. A l'heure où tout devient accessible numériquement, 500 000 à 700 000 titres publiés commercialement et encore sous droit d'auteur ne se trouvent qu'en bibliothèque ou sur le marché de l'occasion. En fait il en manque bien d'autres, issus notamment du travail universitaire. Mais, étant sans vocation commerciale, ils n'intéressent guère le ministre de la culture. N'en parlons plus.

Ces livres indisponibles, publiés au XXe siècle, trop peu rentables pour être réimprimés, ne peuvent être exploités numériquement qu'avec l'autorisation de l'auteur, ce qui ne fut que rarement prévu dans les contrats d'édition d'une époque qui ignorait tout du numérique. Mais le respect du droit d'auteur étant "peu rationnel du point de vue économique", une loi bientôt promulguée permet aux éditeurs de passer outre par le biais d'une gestion collective des droits numériques de ces livres dès lors qu'ils sont reconnus indisponibles par la Bibliothèque nationale de France. Les auteurs ont six mois pour s'y opposer mais nul n'est censé les prévenir. Tout cela est inspiré de l'accord transactionnel du procès Google aux Etats-Unis, rejeté par la justice américaine, dont tous les promoteurs privés et publics de la loi avaient longuement expliqué à quel point il était attentatoire au droit d'auteur.

Inspiré seulement, car l'accord Google était plus respectueux des droits et plus équilibré entre auteurs et éditeurs. La nouvelle loi permet, sans accord de l'auteur, la cession exclusive des droits numériques aux éditeurs n'ayant acquis que les droits de reproduction imprimée. Elle empêche les auteurs de s'y opposer en reniant le principe premier du droit d'auteur qui présume que l'auteur est titulaire exclusif de tous les droits sur son œuvre. L'auteur publiant son œuvre sur Internet serait alors contrefacteur, passible de trois ans de prison et 300 000 euros d'amende.

Cette loi est le volet législatif d'un accord-cadre signé en février 2011 par le ministre de la culture et destiné à financer la numérisation de ce patrimoine par un partenariat public-privé avec les éditeurs. Accord dont le contenu est resté secret, y compris de la représentation nationale, quasiment jusqu'à la fin du débat parlementaire le concernant. Nulle analyse du coût n'est publiée mais, vu le prix de production d'un livre numérique, il faut l'estimer entre 250 et 700 millions d'euros dont l'emprunt sur les investissements d'avenir financerait jusqu'à 40 %. Surprenant usage de l'emprunt dans un secteur non stratégique mettant en œuvre une technologie sans avenir quand tous les écrits seront numérisés. L'importance culturelle ne le justifie pas, il n'y a pas urgence et cela peut être réalisé par d'autres voies, à moindre coût et avec moins d'effets pervers.

Ce coût élevé devra être récupéré sur le marché du livre, dont l'élasticité est limitée, voire inexistante pour les bibliothèques. Elles sont la cible prévue de la vente par lots de l'accès aux œuvres, ce qui permet le prélèvement récurrent d'argent public pour rembourser l'argent public emprunté. Pire, nulle étude ne semble avoir évalué l'impact de l'arrivée en cinq ans de ces 500 000 à 700 000 titres, même numériques, sur un marché du livre qui est de 600 000 titres environ. Une part de ce marché sera nécessairement occupée par les ex-indisponibles.

Globalement, les éditeurs n'y perdront rien. Dans tous les cas ils touchent leur part qui est même plus importante dans le cas du livre numérique, voire une part additionnelle prise sur la rémunération de l'auteur. Pour les auteurs actuellement actifs, c'est une autre affaire : ils subiront pleinement la réduction de leur marché. Certains profiteront un peu du retour numérique de leurs œuvres anciennes, mais de façon infime, noyées dans la masse des 500 000 autres. Seront aussi victimes les jeunes éditeurs dont le fonds est récent et réduit.

Les dégâts seraient moindres en donnant gratuitement accès aux 30 à 60 % d'œuvres orphelines, évitant ainsi qu'elles n'accaparent des parts de marché sans bénéfice pour leurs auteurs introuvables et au détriment de leur visibilité par le public. Des parlementaires ont fini par l'obtenir, mais assorti de trop de restrictions pour être utile. Car si la rémunération des livres orphelins est sans destinataire, elle n'est pas pour autant perdue pour tout le monde.

Il y a un scénario plus pervers. Les éditeurs ne produisent pas de livre numérique mais se contentent d'une numérisation sommaire des livres imprimés, à l'intention des bibliothèques, peu compatible avec les liseuses, ce qui ne coûte que 5 à 15 millions d'euros. Cet apport minimal leur permet de contrôler l'ensemble de ce patrimoine, pour y pêcher au fil des ans des pépites "signifiant[e]s du point de vue commercial" à valoriser financièrement par une édition numérique de qualité. L'amélioration éditoriale est interdite à toute autre personne, fût-ce bénévolement par intérêt culturel, quitte à laisser en jachère ce qui, dans notre patrimoine, n'est pas financièrement intéressant. Mais il est impensable que des éditeurs ou le ministre de la culture se prêtent à une telle dénaturation du droit d'auteur qui nous ferait regretter la loyauté et la vertu de Google.

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François Elie, professeur de philosophie, élu local, président de l'Adullact ;

Bernard Lang, chercheur en informatique, membre du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), co-fondateur de l'AFUL ;

Franck Macrez, maître de conférences - Centre d'études internationales de la propriété intellectuelle (CEIPI) - Université de Strasbourg, administrateur de la FFII France.



Contexte de Publication : Le rôle du quotidien Le Monde

Cet article concerne la loi relative à l'exploitation numérique des livres indisponibles du XXème siècle promulguée le 1er mars 2012. Cette loi, élaborée dans le secret, discutée en procédure accélérée, et votée, à l'unanimité, par des parlementaires qui n'en connaissaient pas le contexte gardé secret et n'en comprenaient pas les effets, est destinée à spolier les auteurs de leur travail et le public de son patrimoine, au bénéfice des industriels de l'édition. Elle ne vise nullement, comme elle le prétend, à rendre accessible au public et aux chercheurs notre patrimoine du XXème siècle, mais bien plus à l'accaparer sans aucune légitimité pour contrôler, monnayer, voire empêcher, cet accès ou la mise en valeur culturelle des oeuvres concernées. Considérée par bien des juristes comme une usine à gaz, et comme une violation majeure des fondements du droit d'auteur, cette loi et ses effets sont très difficiles à décrypter. C'est ce décryptage que nous avons tenté de faire dans cet article soumis le 13 février 2012, alors que quasiment personne n'y prêtait attention, en dépit de quelques articles sur le web et d'un communiqué des associations auxquelles appartiennent les auteurs. L'article d'Alain Beuve-Méry du 18 janvier se contente de répéter les propos officiels, de décrire vaguement la loi avec quelques erreurs factuelles et de constater l'accord de  l'Assemblée Nationale avant même qu'elle n'ait eu l'occasion de délibérer, fût-ce en  Commission des Affaires Culturelles, alors que des éléments essentiels de la loi étaient loin d'être décidés.

Sans réponse des journalistes du Monde, nous leur avons téléphoné le 24 février pour savoir s'il comptaient publier cet article ou si nous devions chercher un autre forum. Nous avons été rappelés dans l'après-midi par un journaliste qui nous a confirmé que le Monde était intéressé, mais comptait le publier dans un dossier 3 semaines plus tard, à l'occasion du salon du livre. Entre-temps, un collectif d'auteurs, Le droit du serf, a lancé tardivement une pétition contre cette loi, pétition qui a été soutenue notamment par Delfeil de Ton dans le Nouvel Observateur sous le titre « Truanderie magnifique ». Le Monde a relayé cette pétition en faisant service minimum avec un très court entrefilet d'Alain Beuve-Méry dans l'édition du 22 février 2012, suivi le 8 mars d'un article fielleux de Pierre Assouline, dénigrant la pétition et l'article de Delfeil de Ton, et se contentant de répéter les discours officiels sans le moindre effort d'analyse (voir mon commentaire).

Le jeudi  15 mars au soir, rentrant tard du vernissage du Salon du Livre, je ne regarde pas mon courriel. Mal m'en prend car j'en ai reçu un du Monde qui a « le plaisir de nous annoncer » que notre article ne sera pas publié dans le quotidien, ni dans un quelconque dossier, mais dans le bazar à idées du site lemonde .fr,. Ce qui est déjà fait le lendemain 16 mars à 9h20, sans notre accord (droit moral de divulgation) et sans établir sur le site aucun lien entre l'article et une actualité d'autant plus proche qu'elle avait été le prétexte de l'attente.

La méthode du Monde aura donc été de laisser refroidir notre article plus d'un mois au frigo, lui faisant perdre de son originalité et de son actualité, même s'il lui en reste heureusement plus qu'aux articles du quotidien sur ce sujet, pour finalement ne pas le publier dans le quotidien, ni lui ni aucun autre article dont l'analyse s'oppose aux points de vue officiels et surtout aux intérêts des grands éditeurs. Pendant un mois, sur ce sujet chaud, nous avons eu la courtoisie de ne pas déflorer nos analyses par égard pour le quotidien. À chacun sa déontologie.

Le plus grave est que, sur ces questions, on constate sur plusieurs années une certaine permanence d'une information unilatérale, hémiplégique, biaisée. C'est pourquoi j'ai ajouté ci-dessous, après l'article concernant cette loi, deux articles soumis antérieurement, dont le premier annonçait d'ailleurs en 2009 ce que nous observons aujourd'hui. Je n'ai pas souvenir que sur ces sujets qui ont fait l'objet de très nombreuses contributions au quotidien, il y ait jamais eu grande place pour des opinions divergentes.

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